Les intelligences artificielles dans les domaines de l'art, de la photographie, du cinéma, de la littérature et de la musique suscitent étonnement, frayeur, enthousiasme ou scepticisme, et se développent à vitesse accélérée. On a vu cette expo passionnante sur le sujet, et on vous dit ce qu'on en a pensé !
De quoi ça parle ?
Le Monde selon l’IA, déployée sur la totalité des espaces du Jeu de Paume, explore la manière dont les artistes contemporains mobilisent, depuis cette dernière décennie, ces intelligences artificielles dans une visée aussi bien critique qu’expérimentale.
De l’« IA Analytique » à l’« IA générative », l’exposition interroge ces nouveaux outils qui permettent de repenser et de renouveler les processus de création tout en éclairant la manière dont les machines voient et habitent le monde. L’exposition dévoile les œuvres – pour certaines inédites – d’artistes de la scène française et internationale qui ont abordé les nouvelles technologies d’IA selon différentes perspectives : Kate Crawford & Vladan Joler, Fabien Giraud, Agnieszka Kurant, Christian Marclay, Trevor Paglen, Hito Steyerl…
Commissaire général : Antonio Somaini.
Commissaires associés : Ada Ackerman, Alexandre Gefen, Pia Viewing.
L'avis de la rédaction
Avec la démocratisation et l’expansion de l’utilisation de l’intelligence artificielle, qui s’est largement infiltrée dans notre quotidien, le Jeu de Paume (8e) aurait pu tomber dans la facilité et le sensationnalisme en nous plongeant dans ses artefacts récréatifs. Mais plutôt que de nous divertir, « Le Monde selon l’IA » fait le choix d’engager une réflexion profonde, exigeante et éveillée autour de ses enjeux, qu’ils soient politiques, environnementaux ou éthiques.
Ainsi, loin des fantasmes technophiles, des peurs ou des discours passéistes, le parcours interroge la façon dont ces nouvelles technologies impactent l’art et la culture visuelle, à travers les œuvres d’artistes contemporains.
Une scénographie en deux temps qui décortique les deux visages de l’IA
Déployée sur les deux niveaux du musée, la scénographie inspecte d’abord l’IA dite « analytique », celle qui scanne, trie, collecte et classifie. En plus d’examiner les systèmes de reconnaissance faciale, de vision artificielle et d'étiquetage, ce volet fait émerger l’invisible : d'abord en replaçant l’intelligence artificielle au regard d’une histoire vieille de cinq siècles, puis en visibilisant les travailleurs de l’ombre et enfin, en déconstruisant l’idée d’une technologie immatérielle (les clouds, ces supposés « nuages », mobilisent en réalité une quantité folle de ressources environnementales).
Puis vient l’IA « générative », ces modèles capables de créer des textes, des images ou des vidéos à partir de simples consignes, appelées prompts. On découvre dans cette partie de l’exposition comment des artistes s’en emparent pour restaurer des sculptures lacunaires, prolonger des œuvres d’artistes antiques inachevées ou encore négocier avec le passé en décolonisant un patrimoine culturel.
Une exposition qui invite à la réflexion sans poser de diagnostic
Difficile de ne pas être frappé par la force de certaines œuvres. Comme la vidéo Mechanical Kurds de Hito Steyerl qui met en lumière les paradoxes auxquels sont confrontés les « travailleurs du clic » qui participent, malgré eux, à l’entraînement de véhicules et de drones qui pourraient un jour être employés contre leur propre population. Ou encore l’installation Faces of ImageNet de Trevor Paglen dans laquelle le visage du visiteur, filmé par une caméra, devient l’objet d’une reconnaissance faciale et d’étiquetage. Une expérience immersive qui, si elle peut faire sourire dans un premier temps, fait en réalité froid dans le dos.
Bien qu’assez dense et un peu technique, cette exposition a la particularité de s’adresser autant aux initiés qu’aux esprits curieux. Ce que l’on a particulièrement apprécié en la visitant, c’est qu’en dépit de traiter un sujet d’actualité (et controversé), la scénographie ne cherche ni à émerveiller ni à indigner, mais bien à éveiller. Alors, certes, on en ressort la tête un peu pleine (d’images, de concepts, d’interrogations), mais surtout heureux d’être enfin équipés de bonnes clés pour décoder un monde aussi mystérieux…